Trip en Beaufortain
Il était presque 7 heures quand je me décidais enfin à quitter mon châlit ; de mon pas chaloupé, je gagnais le balcon de mon chalet, il faisait beau. Et chaud. La chaleur montait déjà du sol, préfigurant une après-midi aussi torride que la flamme d'un chalumeau.
"Bigre", me dis-je, "il me faut trouver une idée pour prendre de l'altitude et ce faisant gagner un peu de fraîcheur". Mais où aller ?
Challes-les-Eaux (Savoie) ? Trop près. Chamalont (Ain) ? Je n'avais pas envie des étangs des Dombes ni de ses oiseaux. Chalais en Charente ? J'aurais mieux aimé le Chalais suisse. Challans en Vendée ? Non, la plage, c'était trop tôt. Châlons-sur-Marne (devenue Châlons-en-Champagne depuis 95) ou Chalon-sur-Saône ? Ah j'hésitais, car j'aime autant le champagne et les bourgognes. Chalette sur Loing dans le Loiret ? Ses chats des forêts norvégiennes me tentaient bien, malheureusement, ils étaient déjà tous adoptés ! Chalonnes-sur-Loire, un peu plus loin en Maine et Loire, avec son pont suspendu ? Mais il aurait fallu y aller à pied, puisqu'elle est située sur un ancien chemin jacquaire. Très peu pour moi ! Me restait la Baie des Chaleurs si bien nommée pour un tel jour. Mais la Gaspésie était pour le coup un peu trop lointaine !
Je me fixais alors un challenge dans mes cordes : Châles-sur-Pattes dans le Beaufortain (Savoie), autrement dit Queige en patois savoyard :
Albertville dépassé, la route fut très vite belle (oui, oui, c'est bien de la neige) :
Après quelques kilomètres de virages au milieu des sapins, j'atteignis Châles-sur-Pattes et ses pâturages :
Et voilà pourquoi Queige s'appelle aussi Châles-sur-Pattes :
troupeau de châles curieux, puis très curieux
Je venais d'arriver à la Ferme des sapins, lieu d'élevage de chèvres angora et de production de mohair, après un dernier kilomètre sur un chemin de terre plutôt cahoteux. Cramponnée au volant, tâchant d'éviter les ornières remplies de la pluie de la veille, bloquant mon dos et debout sur mes pédales à tout passage empierré pour amortir (un peu comme au trot), serrant les dents et les fes..., je me disais : "allez, plus que quelques (cent) mètres", mais je m'angoissais à l'idée de faire demi-tour sur un chemin aussi large qu'un tracteur (petit) avec d'un côté le flanc de la montagne et de l'autre, le talus qui dévale. Pourtant, j'en avais fait de ces chemins qui chahutent, entre les pistes africaines où on s'enlise et ceux qui mènent aux châteaux cathares (les moins connus...) et qui ramènent uniquement en marche arrière.
Mais que n'aurais-je pas fait pour une pelote ! A peine sortie de la voiture, je vis moutonner l'horizon en contrebas du pré : une vague blanche déferlait, intriguée par le visiteur. Ce n'étaient pas des moutons, mais des chèvres (mais elles bêlent aussi). Le troupeau de 90 têtes profitait du beau temps et après l'hiver, se retrouvait enfin dehors. Les femelles et les petits, que l'on voit ci-dessus, venaient d'être tondus et étaient séparés des boucs pour éviter des "galipettes". J'eus soudains la vision de châles et de dentelles virevoltant dans les prés en regardant ces biquettes blanches !
un petit ayant échappé à la tonte et deux femelles
La gestation dure 5 mois, et le chevreau pèse entre 1,5 et 2 kg. Les mises bas ont lieu en hiver, moment où les bêtes sont enfermées, ce qui évite aussi les pertes dues aux prédateurs : quand les petits sortent, ils sont assez grands pour ne plus être des proies faciles. Les grossesses gemellaires sont plutôt rares, mais les petits sont viables.
Les boucs n'ont qu'une idée quand ils entendent bêler les femelles et leurs petits, c'est de les rejoindre ! Mais les barbelés sont là pour les en empêcher. A la différence des femelles et des chevreaux, ils ont encore leurs pelotes sur le dos... Et elles sont sacrément emmêlées !
moi, c'est Garfield (ouais !), le reproducteur principal
Comme beaucoup d'autres éleveurs de chèvres angora, Marie-Hélène, vend son mohair à Albertville et sur les marchés de la région, lors de salons, via Internet mais aussi sur place :
rigolo, non ?
Evidemment, ce qui m'intéressait était la Diva, mélange 77% mohair 23% soie ; plus de 25 coloris sous les yeux, ce fut dur de choisir...
Après cette visite fort agréable, reprise de la route et déjeuner dans le gîte de Molliessoulaz tenu par un tout jeune couple de normands très très sympathiques : pormoniers et crozets au sarrasin ont accompagné une discussion sur l'étymologie des prénoms, la jeune femme attendant un heureux évènement. Puis retour sur Albertville dont je vous montre une vue des deux côtés de la rue principale :
vue sur l'église, vue de l'église (avec neige encore sur les sommets)
sans oublier Conflans bien sûr qui domine Albertville :
NB : vous pourrez noter qu'il y a aussi des poubelles à Albertville ! Et que je ne suis pas une artiste...
Le mohair et la fameuse Diva
Le mohair ne provient pas que des femelles et des chevreaux... le bouc donne aussi sa toison (environ 40 kg par an !). Mais "cha le fait moins" de dire qu'on tricote du poil de bouc plutôt que du poil de chèvre, n'est-ce pas ? C'est moins chic quand-même ! Les animaux sont tondus deux fois par an, et leur poil est classé selon leur grosseur :
- le "kid mohair", poil extrêmement fin, est stricto sensu le nom réservé à la première tonte du chevreau. Mais en pratique, un poil de diamètre inférieur à une trentaine de microns peut bénéficier de cette appellation, et la deuxième tonte profite la plupart du temps de cette dénomination ; c'est le "kid mohair" que l'on retrouve dans les fils les plus précieux, les plus doux, et associé à la soie dans la Diva ;
- le "yearling" est le poil récupéré lors des troisième et quatrième tontes ; ensuite, il y a la fibre "adulte" puis "grosse". Les jarres, gros poils équivalents à nos cheveux blancs, sont éliminés, d'autant plus qu'ils prennent très mal les colorants (comme nos cheveux blancs !).
La chèvre angora est originaire de Turquie (Angora était l'ancien nom d'Ankara) ; son poil soyeux grâce à la disposition particulière des écailles qui le recouvrent et qui le rendent lisse s'appelle "mohair", qui vient d'un mot arabo-persan "mukhayyar" (la plus belle). Le mohair est brillant et prend très bien la teinture.
Même le poil des boucs présente cette caractéristique de brillance et de douceur :
Les éleveurs de chèvres angora ne sont pas des filateurs... La plupart en France travaillent en coopérative : le produit de leurs tontes, mis en commun, est confié à différents façonniers qui vont filer et mélanger à de la laine ou de la soie, teindre et mettre en pelotes leur mohair, et leur délivrer un label de qualité "mohair des fermes de France". Ceci signifie que toutes les tontes sont mélangées et que la pelote de Diva que l'on achète chez un éleveur n'est pas faite uniquement avec le poil de ses chèvres, et que toutes les Diva que l'on trouve chez l'un ou chez l'autre sont de la même qualité puisqu'il s'agit du même produit.
Vous trouverez sur le site Mohair des fermes de France une foule d'informations, et notamment une carte qui donne tous les éleveurs français affiliés, qui en général vendent ensuite des pelotes de mohair ou de mohair et soie.
Sur le net, plusieurs de ces éleveurs ont des sites, par exemple (liste sans doute non exhaustive) :
- les Bergers cathares, en Ariège (du temps des cathares, je ne crois pas qu'il y ait eu des chèvres angora en France puisqu'elles ne furent introduites, sans succès d'ailleurs, qu'au XVème siècle),
- les Créations du Bochaine, dans les Hautes-Alpes,
- le Chaudron magique en Lot-et-Garonne,
- le Mohair de l'Argoat dans les Côtes d'Armor,
- la Ferme du Manoir de Camp en Seine Maritime,
- et la Ferme des sapins, en Savoie.
Si, si, je l'ai fini !
Finalement, cette Diva file vite. Et c'est le bleu (turquoise) que j'ai tricoté, superbe bleu lumineux. Quelque 120 rangs plus tard, cela donne Ganymède (cherchez pas, aucune relation entre lui et le dessin !), adaptation personnelle de Magic circle. "On" m'a dit qu'il était un peu "compact", je suis assez d'accord. Pas assez de trous ! Mais si léger... (moins de 100 g). Question : avec plus de trous, aurait-il été plus léger ? Je lance le débat.
épaules féroïennes, détail bordure
Et une autre bricole inventée, avec des restes de coton, zig-zags (quelle originalité, je m'épate !), 3 ans :
Je l'avais commencé il y a 15 jours, je ne l'avais pas dit... Le blanc est bien blanc, mon appareil a des faiblesses dès qu'il y a du bleu dans les environs. Le fil ukrainien de la dernière fois est bien bleu-vert, pas du tout bleu comme la photo le laissait supposer !
A toutes, une excellente semaine, et mille mercis pour vos commentaires (bien reçus malgré les défaillances de Canalblog cette semaine),
à bientôt, vale,
Christine